Obsèques d’oubliés

Découverts morts sur la voie publique, sans abri, migrants, ils ne possédaient aucun papier sur eux et n’ont pas pu être identifiés. Les communes ont pris en charge leur inhumation comme elles en ont l’obligation légale.

D’autres sont morts chez eux, en Ehpad, dans un établissement de soin, en prison. Leur identité est connue, mais au moment de la mise en terre, la famille et/ou les proches n’ont pas été retrouvés. Ou, s’ils ont été retrouvés, ils ne peuvent ou ne veulent s’occuper des obsèques. Là encore, ce sont les communes qui vont gérer.

Dans de telles situations et en dehors de toute considération d’indigence, qui pour laver les corps, les habiller, en un mot veiller à la dignité de ces hommes et femmes à l’heure de rejoindre une dernière demeure ? Qui pour accompagner ces personnes au cimetière, fleurir les sépultures et honorer leur mémoire ?

Quand viennent se greffer des situations individuelles ou familiales de grande pauvreté, ils ou elles sont porté(e)s en terre au carré des indigents. Espaces réservés dans les cimetières, à l’écart des autres. Ils pourront y rester cinq ans. Là, les tombes ne portent pas toujours de plaques commémoratives. Y compris lorsque l’identité du mort était connue. Une condamnation à l’oubli éternel. A l’effacement de la mémoire collective.

Or, Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, dit le Code civil en son article 16-1-1.

Enterrements d’indigents, enterrements indignes

Elle a été mise à la porte de chez elle après qu’elle ait annoncé sa grossesse. Et la rue est devenue sa seule maison. Elle a mis son bébé au monde, il est mort une heure après sa grossesse. Elle a demandé une cérémonie et un cercueil en bois blanc, mais le surcoût n’était pas compris dans le budget consenti par la ville…

L’association De l’ombre à la lumière (Nantes) est venue en aide à cette femme pour que l’humanité retrouve ses droits. Mais pour un mort de la rue accompagné dans la dignité jusqu’à sa dernière demeure, combien enterrés comme des chiens ? L’expression n’est pas trop forte pour décrire l’ignominie de ces inhumations. Des corps transportés par camion et mis directement dans les sépultures anonymes. D’autres enterrés sous un tas de sable à peine vêtus parfois. Pas de toilette mortuaire lorsque le décès n’intervient pas à l’hôpital. Ne serait-ce un linge humide passé sur le corps pour enlever les traces de sang, de terre, de vomissures…

Le collectif Les Morts de la Rue rapporte cette situation vécue dans une commune de la région parisienne : « Quand nous demandons au téléphone si on peut planter une plante sur une tombe d’une personne prise en charge par la ville, on nous répond : « c’est un indigent, vous n’avez pas à mettre de fleurs. On enlèvera tout. »

Quelle logique, quelle raison à ce que le mépris poursuive ces personnes jusque dans la mort ? « Il y en a marre, se révolte Bruno ancien SDF. Même s’il n’y a pas 100 personnes, qu’il y a une dizaine de personnes, une chanson, un petit poème. Au moins la présence de quelqu’un qui soit là pour dire : au moins, il n’est pas mort tout seul. » 

Depuis une vingtaine d’année des collectifs se sont créés un peu partout en France pour humaniser les obsèques des morts de la rue et des morts isolés.

Quelles obsèques pour les morts isolés ?

La question des obsèques des morts isolées est à traiter sous des angles différents. Si le droit fixe les obligations logistiques et financières faites aux communes, il est peu exigeant sur les aspects rituels. De fait, seuls les proches pourraient vraiment prendre en charge la célébration du défunt. Encore faut-il qu’ils soient présents …

Deux articles du Code général des collectivités territoriales encadrent les obligations des communes :

  • L’article L. 2213-7 du code général des collectivités territoriales (CGCT) fait obligation au maire de « pourvoir d’urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance ». Il s’ensuit que l’inhumation de tout personne décédée sur son territoire est du ressort de la commune.
  • L’article L. 2223-27 ajoute la précision suivante : « Le service est gratuit pour les personnes dépourvues de ressources suffisantes. » Il en découle que l’indigence de la personne décédée ne fait pas obstacle à ce qu’elle soit « ensevelie et inhumée décemment. »

Le caractère d’indigence de la personne décédée (ou de sa famille) est laissé à l’appréciation des collectivités.

Mais l’obligation de financement des obsèques d’indigents faites aux communes ne vaut que pour les dépenses obligatoires et non pour les dépenses somptuaires. Le cérémoniel est absent, l’inhumation est déritualisé.

Funérailles d’indigents

Les dépenses obligatoires sont fixées par l’article R. 2223-29 du CGCT. Ce sont le cercueil, avec ses poignées et sa cuvette étanche, ainsi que les opérations d’inhumation ou de crémation.

Le maire doit donc financer un corbillard avec quatre porteurs pour emmener le corps, depuis la chambre funéraire (en cas de décès sur la voie publique) ou le lieu de dépôt du corps, jusqu’au cimetière ou au crématorium.

Ne sont pas des obligations réglementaires : l’apposition d’une plaque avec le nom du défunt, s’il est connu, et sa date de décès, l’institution d’une cérémonie d’hommage avec prière ou tenue d’un instant de recueillement.

Le défunt est inhumé sur le terrain commun du cimetière (anciennement carré des indigents). La mairie a l’obligation d’assurer la sépulture pour un durée minimale de cinq ans.

Le caractère d’indigence

Est indigente : « Toute personne ne disposant pas de moyens financiers suffisants pour pourvoir aux obsèques » (source : Ministère de l’intérieur). Le maire de la commune dans laquelle a eu lieu le décès apprécie les ressources de l’intéressé. Le caractère d’indigence n’est pas systématiquement retenu. Le coût d’un enterrement d’indigent varie entre 1500 et 1700 €.

Le carré des indigents

Le carré des indigents est à l’origine une parcelle de terrain réservée aux défunts dont le corps n’avait pas été réclamé par ses proches. Rebaptisée « terrain commun », il est aussi par défaut le lieu d’inhumation des personnes dont le corps n’est pas réclamé à l’institut médico-légal (personnes mortes dans la rue).

La sépulture y est assurée pour un minimum de cinq ans. Après quoi, la commune peut décider de libérer l’emplacement en terrain commun. Non réclamé avant expiration du délai, le corps est alors – sur décision de la mairie – transféré vers l’ossuaire du cimetière.

« Indignité et mépris dans la mort »

Au-delà de l’aspect économique, il y a celui symbolique et essentiel de la qualité des obsèques. Le collectif Les Morts de la Rue rapporte des « dysfonctionnements » relevés en région parisienne. « Le corps du pauvre, et son entourage, peut-on lire dans un billet de blog posté en 2014 sur le site Médiapart, continue, parfois, à subir l’indignité et le mépris dans la mort. »

Indignité quand le corps du défunt n’est pas lavé ou habillé, lorsque la déclaration de décès est différée, lorsque la tombe n’est pas fleurie. Que ses volontés ne sont pas respectées. Indignes les plaques en plastique non personnalisées dans le carré des indigents. Indignité quand les défunts sont enterrés sous un tas de terre, avec juste un numéro, dans leurs vêtements abîmés. Lorsque n’est pas reconnue la non-solvabilité de la famille avec pour conséquence le refus de certaines municipalités de prendre en charge les funérailles.

Certes, il ne faut pas généraliser et de nombreuses communes ont à cœur de bien faire les choses. Mais les budgets consentis sont minimes. Et certains aspects ne peuvent être pris en charge que par les familles ou les proches. Eux seuls sauront rappeler ce que fut le défunt. En l’absence des familles ou des proches, le cérémoniel est aux abonnés absents.

Attributaire du « marché des indigents » d’une grande ville de l’Ouest de la France, ce responsable d’une entreprise de pompes funèbres décrit des enterrements sans âme. « Le plus souvent, nous dit-il, on ne sait rien de la personne que l’on met en terre et rien de son désir en termes de funérailles. Dans ces cas-là, il ne se passe rien. » Rien qui ressemble à un culte, à une cérémonie, à un hommage mémoriel. La mort d’un mort de la rue est anonyme et silencieuse.

L’association Morts isolés de France et d’Outre-Mer

Créé en 2023, l’association Morts Isolés de France et d’Outre-Mer (MIFOM) agit concrètement pour que nul ne soit enterré dans l’indignité.

« Nous intervenons principalement lorsque la famille de la personne décédée n’a pas été retrouvée et de manière différente selon que la personne décédée est indigente ou pas. Mais l’objectif reste le même. »

Pascal Hersigny président de l’association

Les actions de l’association :

  • le financement d’un bouquet de fleurs à déposer sur la tombe de la personne décédée.
  • le financement d’une plaque funéraire gravée ;
  • l’accompagnement aux obsèques ;
  • la tenue d’un jardin du souvenir via ce site portant mémoire de la personne : identité et âge lorsqu’ils sont connus, lieu du décès, circonstances de la mort et toute autre information susceptible de rendre hommage au défunt ;
  • la publication de faire-part.
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