Morts de la rue

On les appelle les morts de la rue. Ils étaient sans domicile fixe. Qui furent-ils ? Quel fut leur parcours de vie ?

Sous le titre Dénombrer et décrire, le rapport annuel du collectif Les Morts de la Rue (CDMR) nous renseigne sur la mortalité des personnes sans chez soi en France. Les données remontées par le onzième rapport du collectif publié en novembre 2023 sont accablantes.

Itinéraires de SDF

Même s‘il est déterminant pour expliquer l’absence de domicile, le passé familial n’explique pas tout. Itinéraires de SDF…

Enfant, elle a été violée. Sa famille intégriste l’avait rejetée. Lui est retrouvé mort d’une crise cardiaque dans la pension de famille où après bien des errances, il avait fini par trouver refuge. Après son divorce, il avait tout lâché : ses enfants, son emploi, sa maison. Tel autre a été drogué par sa mère dès son plus jeune âge. Tel autre était migrant, ou en rébellion contre la société …. Il vivait dans la rue, dans le centre de Paris. Et puis il décide de changer sa vie. Un appartement est trouvé, l’attend, lui rate la visite. Il se dit que cette belle occasion est perdue… et disparaît. Son frère, fossoyeur au cimetière de Thiais, découvrira un jour son nom sur la liste de ses « clients » indigents…

Ils et elles sont devenus SDF. Pourquoi ? Dans une enquête de l’Insee publiée en 2014 (« Les sans-domicile en 2012 : une grande diversité de situations »), on peut lire qu’ils ont – pour 86 % d’entre eux – vécu dans leur enfance au moins un événement douloureux lié à leur environnement familial. Qu’un quart de ceux qui sont nés en France ont été placés dans une institution, en foyer ou en famille d’accueil dans leur enfance. Que les deux tiers d’entre eux ont subi des violences ou des mauvais traitements, contre 2 % pour l’ensemble de la population. Mais le passé familial n’est pas la seule des explications possibles. En effet, les causes qui conduisent à devenir sans-domicile peuvent être entremêlées.

Lire l’enquête

Le nombre de décès de personnes sans chez soi tend à augmenter d’année en année depuis 2012

Les résultats du onzième rapport Dénombrer et décrire, confirment une année 2022 meurtrière avec 710 décès signalés. Parmi eux, 624 personnes étaient sans chez soi, 80 anciennement sans chez soi et six personnes vivaient à la rue de façon récente. Le collectif s’appuie sur différentes sources de signalement (associations, institutions, particuliers et médias) pour établir ces statistiques. Bien que ce chiffre soit légèrement inférieur à celui de 2021, le nombre de décès de personnes sans chez soi, rapporté par le CMDR, tend à augmenter d’année en année depuis 2012.

« Si ce chiffre interpelle, il ne s’agit pourtant que d’une vision partielle de cette sombre réalité, précisent ses auteurs dans le précédent rapport daté de 2022. La réalité se tiendrait autour d’un peu plus de 2000 décès par an (6730 personnes sans domicile décédées entre 2008 et 2010). » Une estimation basée sur une étude de l’Inserm/CépiDC (Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès) concluant en 2014 que le CDMR ne recensait que 17% des décès de personnes sans chez soi.

75% des décès recensés par le collectif Les Morts de la Rue sont survenus dans cinq régions : Île-de-France, Hauts-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. A elle seule, la région Île-de-France représente 41% des décès.

Causes de la mort : souvent méconnues sinon violentes

Âge moyen du décès : estimé à 49 ans. Soit un écart d’espérance de vie de plus de 30 ans d’avec la population générale. La rue tue vite et les femmes encore plus vite. Leur espérance de vie dans la rue est de 46 ans (50 ans pour les hommes).

Dans 54 % des cas, indique le rapport, la cause de décès est mal connue ou non précisée. Pour ce que l’on en sait, près d’un décès sur cinq est lié à une mort violente (accident, agression, suicide). Près d’un sur sept est lié à une maladie (tumeurs, maladies liées à l’appareil circulatoire et à l’appareil respiratoire).

Le lieu de décès le plus fréquent est l’espace public (37%) : la rue, une route, un fleuve, un cours d’eau, un parking, un square, le métro. Les lieux de soins constituent le deuxième lieu de décès le plus fréquent (27%) : hôpitaux, lits médicalisés, lits halte soins santé, urgences, soins palliatifs.

Dans 15% des cas, les personnes sans chez soi sont décédées dans des lieux d’hébergement de type CHU, CHRS ou encore au domicile d’un tiers.

Les plus jeunes aussi meurent dans la rue

Le CMDR a recensé 182 décès de personnes âgées de 18 et 25 ans entre 2012 et 2020. Et la tendance est à la hausse pour cette classe d’âge. La majorité des décès concernait des jeunes hommes comme pour l’ensemble des personnes sans chez soi. Sur cette période 2012-2020, 60% des décès des personnes âgées entre 18 et 25 ans ont concerné des jeunes nés à l’étranger.

Ces décès surviennent principalement sur la voie publique, encore plus souvent lorsque les personnes sont nées à l’étranger.

Les mineurs aussi meurent sans chez eux. Cent quinze mineurs identifiés par le CDMR sont morts entre 2012 et 2020. C’étaient des garçons pour la plupart, dont l’âge moyen au moment du décès était de 6,9 ans. La tendance est en légère hausse depuis 2016. Mais mourir sans chez soi ne signifie pas nécessairement mourir sans famille. Pour 71% d’entre eux, les mineurs étaient en famille.

Dans 29% des cas, ces décès sont survenus dans l’espace public. Dans 18% des cas, ils sont survenus dans un abri, un campement. Seulement 8% des décès ont eu lieu dans une structure d’hébergement. La plupart des décès chez les moins de 18 ans sont survenus dans des lieux de soins (39%).

Sans domicile fixe en France

En 2001, l’Insee publie une enquête intitulée Sans Domicile. La première du genre en Europe. Une deuxième édition est parue en 2012. Celle-ci estime à 143 000 personnes le nombre de sans domicile fixe en France. En augmentation de 50% par rapport à la précédente enquête de 2001. En 2022, la Fondation Abbé Pierre a recensé plus de 330 000 personnes sans domicile fixe en France, soit deux fois plus qu’il y a dix ans. Un chiffre qui fait froid dans le dos.

Les principaux objectifs de l’enquête Sans Domicile sont :

  • de décrire les caractéristiques des personnes sans domicile et sans abri ;
  • de décrire les difficultés d’accès au logement, ainsi que les trajectoires ayant amené les personnes à la situation de sans-domicile, afin d’identifier les processus d’exclusion ;
  • d’estimer le nombre de personnes sans domicile.

Une troisième enquête Sans Domicile est prévue pour 2025.

Parcours de vie

Chaque année, les bénévoles de l’enquête Dénombrer et Décrire du collectif Les Morts de la Rue enquêtent pour décrire le parcours de ces personnes. Des parcours marqués par des zones d’ombre.

Ils nous disent par exemple que le défunt « n’a que 13 ans quand il se retrouve à la rue. Qu’il va vivre ensuite pendant 29 ans sans solution d’hébergement ou de logement ». Que la défunte avait « une retraite d’assistante maternelle qui ne lui permettait pas de faire face à son loyer. Elle avait été hébergée chez des amis puis avait trouvé refuge pendant 10 ans dans un box de voiture. »

Mais souvent les histoires sont incomplètes et marquées par des zones d’ombre. Trajectoires singulières, que celles de ces personnes confrontées à un moment de leur vie à des ruptures et à des situations parfois extrêmes : violence familiale, psychotraumatismes, placements dans l’enfance, séparations, deuils, parcours migratoire, perte d’emploi, surendettement, dépression, maladie…

Le temps d’errance passé à la rue cumulée sur la vie entière, nous apprend le rapport, n’a pu être recueilli que pour 39% des personnes sans chez soi décédées en 2022. Parmi elles, 85% d’entre elles avaient passé plus d’un an à la rue, et 29% plus de 10 ans. Soit en moyenne onze années d’errance.

Des collectifs de bénévoles sur le terrain

En France, à la suite du collectif Les Morts de la Rue créé en 2003, de nombreuses organisations agissent concrètement sur le terrain, alertent les acteurs sociaux et politiques sur les dangers qu’il y a à vivre dans la rue (la rue tue) et sur l’indignité des funérailles réservées aux sans chez soi.

Dans les grandes villes de France, des associations tiennent ces comptes macabres et documentent un phénomène qu’accroissent nos sociétés modernes.

A Angers, le collectif Gingko recense 87 personnes sans domicile fixe décédées depuis sa création en 2009.

Depuis 2008, le collectif bordelais Morts isolés a accompagné plus de 350 personnes dans l’ancien quartier des indigents du cimetière de Bordeaux-Nord, à Bruges.

Entre 2003 et 2009, la mémoire de 442 personnes a été honorée par le collectif lyonnais Morts sans Toi(t).

L’association Morts Isolés de France et d’Outre-Mer (MIFOM) agit concrètement pour la dignité des enterrements

En les accompagnant les morts de la rue jusqu’à leur dernière demeure ; les associations locales enveloppent d’un voile d’humanité des funérailles que la société oublie de considérer. MIFOM leur apporte son soutien.

Signalez-nous
une mort isolée,
contactez-nous :
01 89 71 56 15