L’isolement social

L’isolement social est en forte augmentation. Ses causes sont multifactorielles et se combinent le plus souvent.

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) définit l’isolement social comme « la situation dans laquelle se trouve la personne qui, du fait de relations durablement insuffisantes dans leur nombre ou leur qualité, est en situation de souffrance et de danger ».

Petits Frères des Pauvres parle de mort sociale pour qualifier celles et ceux qui sont exclus de tout cercle de sociabilité. L’association va plus loin et établit un lien entre la mort sociale et la mort isolée : « Ces morts solitaires et invisibles sont le témoin de l’isolement le plus extrême. » Mais le phénomène est peu mesuré et étudié par les statistiques officielles.

Églantine, 73 ans : « J’ai peur de mourir toute seule »

L’angoisse de mourir seules étreint les personnes âgées isolées. Petits Frères des Pauvres rapporte d’émouvants témoignages et préconise une dizaine de mesures pour lutter contre un phénomène qui prend de l’ampleur : la mort sociale de nos aînés.

Églantine, 73 ans : « Moi j’ai une grande peur ici, j’ai peur de mourir toute seule. (…) j’ai une peur panique de ça. Pas trop pour moi, si je suis morte je m’en fiche, mais mon chien, qui va le sortir ? (…) De mourir toute seule, ça me fait… »

Nicole, 81 ans : « Chez moi je dors au rez-de-chaussée, la nuit mon volet n’est pas complètement accroché, il est poussé. Dans une petite boite, j’ai mes clés. Comme ça le jour où on va me trouver morte, qu’on puisse rentrer sans tout casser. »

Cette crainte de mourir seule trouve sa réalité dans les chiffres. En 2021, Petits Frères des Pauvres a dénombré une dizaine de personnes âgées retrouvées mortes à leur domicile. Plusieurs semaines, mois, voire années après leur décès. L’absence de famille proche géographiquement, la perte d’autonomie, l’incompétence numérique, la faiblesse des revenus sont des causes majeures d’isolement des personnes âgées. Mais l’association propose d’autres explications plus inattendues. Ainsi l’automatisation de nombreux prélèvements, qui se poursuit jusqu’après leur décès, masque la disparation des personnes en rupture de lien social. Les médias rapportent le cas de cet octogénaire retrouvé mort dans son appartement à Nantes, onze ans après son décès. Ses loyers étaient prélevés automatiquement.

Combattre la solitude des ainés

En 2021, Petits frères des Pauvres publie son second baromètre « Solitude et isolement quand on a plus de 60 ans en France ». Y sont préconisées, une dizaine de mesures pour lutter contre la solitude des personnes âgées et la mort en solitaire telles que :

  • la production de données officielles et régulières sur la solitude et l’isolement de la population française ;
  • la nécessité de prioriser les actions de lutte contre l’isolement des personnes âgées les plus modestes (1000 € de revenus mensuels constituant pour l’association un seuil critique).
  • la nécessité de soutenir les structures associatives et de s’appuyer sur les acteurs de proximité ;
  • l’expérimentation de systèmes d’alerte pour prévenir la mort en solitaire.

L’isolement social en forte augmentation

L’isolement social est la disparition du lien relationnel. Historiquement, il est une conséquence de la pauvreté et de l’âge, voire des deux combinés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le phénomène se prête à l’analyse de La Fondation de France dans son étude Solitudes datée de 2013 : « Cette crise du lien social n’est pas [seulement] une crise de la pauvreté, elle est le symptôme d’une société plus éclatée qui peine à ‘faire communauté. »

Cette même étude fait le constat « d’une forte augmentation de l’isolement relationnel dans de nombreuses franges de la population ».

L’isolement relationnel :
sept millions de Français en 2020

Dans son dixième rapport annuel Les solitudes (2020), la Fondation de France, avec le CREDOC, confirme une hausse de l’« isolement relationnel » entre 2010 et 2020 avec trois millions de personnes isolées en plus depuis 2010. Selon ce rapport, l’isolement concernerait plus de sept millions de Français en 2020, soit 14 % de la population. Contre 9 % en 2010. Sans surprise, la part des personnes en situation d’isolement relationnel a atteint un pic en 2021 (24 %) en lien direct avec la crise sanitaire du Covid 19.

Non seulement l’isolement relationnel en France gagne du terrain, mais il s’étend à toutes les catégories de population. Il frappe toutes les catégories d’âge y compris les jeunes. Selon l’INSEE, 6,6 millions de Français âgés de 16 ans ou plus souffraient d’isolement social en 2015. En 2020, 13 % des 18-29 ans seraient socialement isolés, contre 2 % il y a 10 ans.

La solitude s’installe par étapes, à différents moments de la vie, souvent à la suite d’un enchaînement d’événements douloureux qui fragilisent le tissu relationnel de l’individu. Cette « entrée en solitude » se transforme parfois en « solitude installée » (Fondation de France).

L’isolement social frappe toutes les catégories de populations, y compris les jeunes. Reste que les principaux facteurs de l’isolement social sont bien la vieillesse et la précarité.

Comprendre l’isolement social

La France compte deux millions de personnes âgées isolées. Un chiffre publié en 2021 (Baromètre sur la solitude et l’isolement des plus de 60 ans) par Petits Frères des Pauvres, une association engagée dans la lutte contre la solitude des seniors. Quelles sont les causes de cet isolement ?

Décès des proches, maladie et invalidité, inadaptation de et à l’environnement urbain, inadaptation des modes de transports collectifs, dévalorisation, diminution des ressources économiques… Ce sont toutes ces réalités qui se combinent et peuvent contraindre les personnes âgées au repli.

Quant à l’éclatement géographique des familles, il ne peut être compensé par l’usage des technologies digitales (mails, SMS…). D’une part, parce que 3,6 millions d’aînés sont en situation d’exclusion numérique, laquelle accroit de fait l’exclusion sociale. D’autre part, parce que le recours à ces modes de communication ne permet pas – pour les séniors particulièrement – de compenser la baisse des appels téléphoniques ni des visites physiques.

Où ressent-on le plus la solitude ?

Le Centre-Val de Loire et la Nouvelle Aquitaine arrivent en tête. Là respectivement 27 et 24 % des ainés traversent des journées entières sans parler à personne. Dans un rapport daté de 2019 consacré au lien entre solitude, isolement des personnes âgées et territoires, Petits Frères des Pauvres relève que le ressenti de solitude « est plus exacerbé dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (32 %) et dans les petites agglomérations de 2 000 à 20 000 habitants ».

L’isolement n’est pas déterminé par les mêmes facteurs à la campagne ou à la ville : en zone urbaine, l’isolement est aggravé par l’affaiblissement des solidarités et des relations de voisinage amoindries. Si les solidarités sont plus fortes en zone rurale, le défaut de services du quotidien et de transports renforce l’isolement.

Chez les jeunes, les causes d’isolement social sont multiples également. En effet, une étude conduite par la Fondation de France (2017) montre que le phénomène est multifactoriel. Il résulte souvent d’un « enchaînement d’événements » : départ du domicile parental, célibat, éloignement, problèmes de santé, complexes physiques… Toujours selon la Fondation de France, les jeunes isolés ou socialement vulnérables ont plus souvent entre 25 et 30 ans et sont répartis de façon équilibrée entre hommes et femmes. Ils représentaient 6 % des 15-30 ans en 2017. Un chiffre en constante augmentation.

En 2020, 13 % des 18-24 ans seraient socialement isolés.

En 2022, 11 % des personnes de plus de 15 ans se trouvent en situation d’isolement relationnel, c’est-à-dire qu’elles ne rencontrent jamais ou très peu de personnes en-dehors de leur foyer.

L’isolement social concerne le plus souvent les personnes aux bas revenus. C’est ce qui ressort des travaux réalisés sur le sujet. « Depuis 2016, les bas revenus et les classes moyennes inférieures constituent à eux seuls près de 60 % des personnes socialement isolées », nous apprend en 2020 l’étude Les solitudes en France réalisée par le CRÉDOC pour la Fondation de France. Confirmation du lien de cause à effet entre précarité économique et isolement en 2022. 15 % des personnes aux revenus modestes sont isolées contre 8 % chez les personnes à hauts revenus.

Le chômage est un facteur aggravant. Les chômeurs souffrent deux fois plus d’isolement relationnel que les actifs en poste – un phénomène qui semble avoir été renforcé par la crise sanitaire, avec 21 % des personnes au chômage isolées en 2022 contre 18 % en 2020 (source : Fondation de France, étude Solitudes 2022).

La solitude c’est mortel

Le lien entre l’isolement social et la mort isolée est peu documenté en France. Mais d’évidence, le lien est bien réel. Pour l’association Petits Frères des Pauvres : « Ces morts solitaires et invisibles sont le témoin de l’isolement le plus extrême. Sans liens avec leur famille, amis, tissu associatif ou le voisinage, ces personnes âgées sont en situation de « mort sociale » et meurent seules… »

Pour tout symbolique qu’elle soit – exclusion de son vivant du monde des vivants – l’expression « mort sociale » est donc une réalité. Elle décrit l’immense solitude d’une frange de la population française traitée comme morte ou inexistante.

Edith : « J’ai l’impression d’être sur une île déserte. »

En 2021, Petits Frères des Pauvres publie le témoignage d’Édith dans sa deuxième édition du baromètre « Solitude et isolement quand on a plus de 60 ans en France ». Ce que décrit Édith est représentatif d’un phénomène qui prend de l’ampleur en France.

Édith est lourdement handicapée. «Je suis en fauteuil roulant, je ne peux plus sortir. Je m’aggrave de mois en mois. Il y a plein de trucs que je ne peux pas faire (…) »

Se succèdent pour Édith des jours entiers passés dans son lit. Monotonie et solitude, car les visites de ses enfants sont rares. «Je suis seule. J’ai l’impression d’être sur une île déserte. C’est quand même une mauvaise vieillesse. »

Édith peine aussi à joindre les deux bouts tous les mois. Maladie et précarité financière sont deux causes majeures d’isolement des personnes âgées car l’une comme l’autre poussent au repli sur soi.

Petits Frères des Pauvres prend en compte quatre cercles de sociabilité pour mesurer l’isolement des personnes âgées : famille, amis, voisinage, associations. De son dernier baromètre, il ressort que 530.000 personnes de plus de 60 ans ne rencontrent quasiment jamais personne car elles ne sont plus dans aucun de ces cercles. Une mort sociale « qualifiée » en augmentation de 77 % en quatre ans.

Quel fût le parcours de ces personnes dont la mort fut solitaire ? Pour Petits Frères des Pauvres, les deuils, les déménagements, l’évolution d’un quartier et la faible sociabilité entre voisins fragilisent les personnes âgées qui vont progressivement s’exclure de tout cercle de sociabilité.

En l’absence de statistiques officielles, l’association recense les « morts solitaires » des personnes âgées. En 2022, elle a dénombré une dizaine de personnes âgées retrouvées mortes à leur domicile plusieurs semaines, mois, voire années après leur décès.

Au-delà, quelle est la population menacée par la mort sociale ? Les patients en fin de vie, les sans-abris, les personnes placées en institutions médicales ou médico-sociales, en Ehpad, les immigrés déracinés, les chômeurs de longue durée, les retraités sans aucune persistance d’activité, les détenus de longue durée. Ceux dont la disparition passe inaperçue au reste de la société.

Mourir dans la solitude

Aujourd’hui en France, des personnes meurent dans la plus totale solitude. Leur dépouille n’est pas réclamée par des proches avec qui le contact était rompu depuis des années parfois.

Les affaires de découverte de cadavres de personnes, âgées le plus souvent, bien après leur décès sont légion. Dans un petit village du sud de la France, un homme de 75 ans a été retrouvé mort chez lui après 48 heures. La municipalité a bien tenté de retrouver sa famille. Peine perdue. Cet homme sans moyens financiers, repose au « carré des indigents ». Une inhumation sans cérémonie, ni fleur ni couronne, et une dalle en lieu et place de la pierre tombale.

L’association Morts Isolés de France et d’Outre-Mer (MIFOM) défend concrètement le droit de tout individu à être enterré dans la dignité. Un droit inscrit dans la loi : « Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. » (article 16-1-1 du Code civil).

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