Mourir seul en Ehpad 

Fin 2019, 730 000 personnes résidaient en établissement d’hébergement pour personnes âgées dont un peu plus de 80% en Ehpad (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Une publication de la Drees (Études et résultats n° 1237 – 12 juillet 2022) nous apprend que les Ehpad accueillent les résidents les plus âgés : la moitié des personnes accueillies dans ces établissements ont 88 ans et sept mois ou plus. 

Dans une étude plus récente (février 2023) la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) met en lumière les disparités de situation entre les personnes âgées de 60 ans ou plus, selon qu’elles vivent en établissement ou à domicile. Elle révèle que l’isolement social est plus important pour les personnes hébergées en établissement. De l’isolement à la mort isolée, il n’y a qu’un pas. 

Les personnes âges plus isolées en établissement d’accueil 

Les personnes en établissement, surtout les plus jeunes, sont plus isolées sur le plan familial que les personnes à domicile. Ainsi, un senior sur quatre en établissement n’a aucun enfant en vie, contre un sur dix à domicile. Un résident sur trois n’a aucun petit-enfant, contre un sur cinq à domicile.  

Seuls 13 % des résidents en établissement sont en couple alors qu’ils sont 64 % à domicile. Deux explications viennent principalement éclairer ce saisissant contraste : 

  • la part de veufs et veuves est plus élevée en institution (63 %, contre 20 % à domicile) ; 
  • la part des personnes célibataires est plus élevée avec 17 % des seniors célibataires, contre 7 % à domicile. Avant 75 ans, le célibat est même la situation la plus fréquente en établissement, loin devant le divorce, le veuvage et le mariage. 

On note également que les personnes qui entrent « jeunes » en établissement pour personnes âgées, c’est-à-dire entre 60 et 75 ans, sont davantage marquées par l’isolement social (et par de faibles ressources). 

Par définition, la vie en institution constitue une rupture. Rupture d’avec son lieu de vie, ses habitudes, son environnement, son autonomie et parfois d’avec ses proches. Mais il y a autre chose. 

« On n’est plus rien, on n’existe plus. On n’est plus rien. On attend qu’on aille dans le cimetière. Mais en fait, on est déjà mort ici » dit cette dame de 82 ans en conflit avec ses enfants. Et pour cette femme âgée de 89 ans, veuve, ancienne femme au foyer et qui n’a plus de liens avec ses deux enfants : « On ne sert à rien, on n’est plus bons à rien ».  

Dans ces propos de résidents recueillis par la sociologue Valentine Trépied (Gérontologie et société 2016/1, vol. 38 / n° 149), transparait le sentiment de leur inutilité sociale et de perte d’identité.  

« Ainsi, ces personnes âgées dépendantes ressentent le sentiment d’être des « inutiles » au monde » (Castel, 1999) et d’être rejetées par le reste de la société. « Dans leur cas, la solitude renvoie à un sentiment d’inutilité et d’abandon qui est renforcé par leur désaffiliation sociale » (Van de Velde, 2011). 

Perte de sociabilisation et sentiment d’abandon

Petit Frères des Pauvres définit quatre cercles de sociabilité. Le retrait effectif de ces quatre cercles (famille, amis, voisinage, associations) est la marque l’isolement social. Avec l’avancée en âge et l’apparition de difficultés physiques et/ou de fragilités psychiques ; le risque de se retrouver isolé devient évidemment plus important. Mais le sentiment de solitude et d’abandon relève parfois d’une expérience subjective. Il convient donc de distinguer isolement et sentiment de solitude. « Ainsi, tout en recevant des visites régulières, les personnes âgées vivant en Ehpad peuvent souffrir du sentiment d’être seules car elles sont particulièrement insatisfaites de la qualité des liens noués avec leur entourage familial » (Valentine Trépied, 2014).  

Mourir en Ehpad 

« N’a-t-on pas commencé à mourir un peu lorsque, accablé par une perte d’autonomie lourde, on se trouve dans l’obligation, afin de soulager son entourage, ou par manque de moyens, de faire ce « choix contraint » d’une fin de vie en établissement ? » interroge Joëlle Le Gall dans Mourir en Ehpad (Dans Empan 2015/1 (n° 97), pages 104 à 110) 

En établissement comme à domicile, la mort des personnes âgées peut survenir de différentes manières. Subite elle pourra survenir dans un contexte d’isolement total. Ni personnel soignant, ni famille, ni proche pour veiller la personne mourante.  

Le suicide en Ehpad, une réalité

Elle avait 92 ans : « Je n’entends plus, je ne vois plus, je ne suis plus rien, je ne sers à rien ». Elle refusait d’être visitée la nuit pour vérifier si elle avait besoin de quelque chose. Une aide-soignante l’a retrouvée au petit matin, un sac plastique sur la tête. Elle avait avalé une poignée de somnifères … »

On se suicide en Ehpad, peu (0,1% des personnes âgées de plus de 75 ans), mais c’est bel et bien une réalité. Ce chiffre est-il sous-estimé compte-tenu des modalités de recueil des données mentionnées au certificat de décès ? C’est possible, car les suicides des personnes âgées résidant en Ehpad ne sont repérés comme tels que si la personne est décédée en Ehpad. (Observatoire national du suicide, 4é rapport, juin 2020). Mais la pensée suicidaire est bel et bien là chez les résidents, avec un risque de suicide accru dans les six premiers mois suivant l’arrivée en établissement. Mode privilégié, la pendaison (SNDS- CépiDc-Inserm, calculs DREES données cumulées 2013 2014 2015) pour un taux de « réussite » très largement supérieur à la moyenne.

De multiples facteurs sont en cause dont l’isolement et le manque de soutien social.

A l’inverse, il a été démontré que l’existence d’un soutien familial et/ou amical en tant que facteur protecteur diminue le risque de suicide.

Ni famille, ni adieux, ni rituel 

Elle avait 85 ans. Elle est décédée seule dans son Ehpad après des années sans aucune visite de sa famille. Ses funérailles ont été organisées par la commune, sans cérémonie ni fleur. Elle repose désormais dans le carré des indigents. Lui, âgé de 90 ans, a passé ses derniers jours sans aucun contact avec sa famille éloignée. Sa dépouille n’a été réclamée par personne, il a été enterré sans qu’aucun hommage ne lui soit rendu.  

Dans nos sociétés contemporaines, la mort n’est plus objet de ritualisation. L’essoufflement des valeurs religieuses, la médicalisation des derniers instants ont progressivement conduit à la disparition de nombreux rituels. Les familles ne sont plus systématiquement présentes au moment du dernier soupir et dans les Ehpad ce sont bien souvent les soignants qui tiennent la main de le personne mourante.  

Nos actions pour humaniser les enterrements des personnes isolées  

Émus par ces situations, les membres de L’association Morts Isolés de France et d’Outre-Mer (MIFOM) s’engagent à humaniser les enterrements des personnes sans famille ni proches décédées en Ehpad.   

Nos actions pour offrir des funérailles dignes et préserver la mémoire des disparus :  

  • l’envoi d’une plaque funéraire ; 
  • l’envoi de bouquets pour fleurir les tombes des défunts et offrir un dernier hommage respectueux ; 
  • la tenue d’un jardin du souvenir : nous maintenons un espace mémoriel où les noms, âges et circonstances de décès des personnes isolées sont conservés et honorés ; 
  • la publication de faire-part : nous publions des avis de décès pour informer et permettre aux proches et aux membres de la communauté de rendre hommage. 

« Mourir sans famille en Ehpad est une réalité cruelle et inhumaine. Ensemble, nous pouvons redonner de la dignité à ceux qui en ont été privés »  

Pascal Hersigny, président de MIFOM

Votre soutien est essentiel pour nous permettre de perpétuer l’hommage mémoriel aux personnes âgées décédées dans la solitude. Ensemble, nous pouvons redonner de la dignité à ceux qui en ont été privés. Rejoignez-nous dans cette lutte contre l’isolement et l’indifférence. 

Signalez-nous
une mort isolée,
contactez-nous :
01 89 71 56 15