Mourir seul chez soi

En 2023, au moins vingt personnes âgées sont mortes seules chez elles, soit plus d’une chaque mois. Elles ont été retrouvées des semaines, des mois, voire des années après leur décès. Depuis 2022, Petits Frères des Pauvres dresse un bilan annuel des morts solitaires sur la base des décès médiatisé. Car, il n’existe pas de statistiques officielles sur le sujet. Dans la plupart des cas cités dans la presse, les personnes âgées mortes dans la solitude avaient peu de liens familiaux ou amicaux. Ou comment l’isolement social fait le lit de la mort en solitaire.

L’isolement social chez les personnes âgées

L’isolement social est un phénomène croissant en France. Notre pays compte une personne sur dix en France en situation d’isolement total, selon une étude de la Fondation de France (2023). Parmi elles, les plus de 60 ans. Ils sont 530.000 dans cette tranche d’âge à ne rencontrer quasiment jamais personne. Ils et elles (sur)vivent en situation de mort sociale.

Petits Frères des Pauvres prend en compte quatre cercles de sociabilité pour mesurer l’isolement des personnes âgées : famille, amis, voisinage, associations. Est en situation de mort sociale, celui ou celle qui n’appartient plus à aucun de ces cercles. La mort dite sociale a augmenté de 77% en quatre ans.

Les raisons de cette solitude croissante sont multiples. Si historiquement elle est une conséquence de la pauvreté et de l’âge, voire des deux combinés, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il n’empêche, les personnes âgées sont et restent les premières victimes d’une société éprouvée par une crise majeure du lien social. « Elle [la solitude] est le symptôme d’une société plus éclatée qui peine à faire communauté » analyse la Fondation de France dans une étude datée de 2013. De fait, la France compte deux millions de personnes âgées isolées (Petits Frères des Pauvres – Baromètre sur la solitude et l’isolement des plus de 60 ans – 2021).

Quelles sont les causes de cet isolement ?

Décès des proches, maladie et invalidité, inadaptation de et à l’environnement urbain, inadaptation des modes de transports collectifs, dévalorisation, diminution des ressources économiques, perte du rôle social… Ce sont toutes ces réalités qui se combinent et peuvent contraindre les personnes âgées au repli, à l’effacement.

Quant à l’éclatement géographique des familles, il ne peut être compensé par l’usage des technologies digitales (mails, SMS…). D’une part, parce que 3,6 millions d’aînés sont en situation d’exclusion numérique, laquelle accroit de fait l’exclusion sociale. D’autre part, parce que le recours à ces modes de communication ne permet pas – pour les séniors particulièrement – de compenser la baisse des appels téléphoniques ni des visites physiques.

Mourir seul chez soi, une tragédie silencieuse

Chaque année, des personnes âgées décèdent dans une absolue solitude. Mois après mois, ce sont les médias qui révèlent des disparitions tragiques.

En 2002, France bleu, la Voix du Nord, Ouest France, La Dépêche, le Dauphiné, France 3 … annoncent :

A St-Brieuc (22) : une femme de 75 ans retrouvée morte dans son appartement deux ans après son décès ;

A Lille (59) : une femme de 87 ans retrouvée morte dans son appartement quinze jours après son décès ;

A Bouguenais (44) : un homme de 76 ans retrouvé mort dans son appartement six mois après son décès ;

A Balma (31) : un homme d’une soixantaine d’années retrouvé mort dans son appartement entre six mois et un an après son décès ;

A Valence (26) : un homme de 62 ans retrouvé mort dans son appartement trois ans après son décès.

Une dizaine de personnes âgées sont mortes seules chez elles en 2022. Vingt en 2023. Mais la réalité est probablement autre. Car pour tenir ce décompte macabre en l’absence de données officielles, les Petits Frères des Pauvres ne peut que comptabiliser les morts médiatisées.

Comme celle de cette femme de 75 ans retrouvée morte dans son appartement trois ans après son décès. Le 31 décembre 2022, les pompiers avaient découvert son corps momifié dans un appartement de Libourne. Ironie du sort, les factures de la septuagénaire étant réglées de manière automatique depuis trois ans, personne ne s’était inquiété de sa disparition. L’affaire avait été révélée par le parquet de Bordeaux et le quotidien Sud-Ouest, dans un article paru le jeudi 12 janvier 2023.

Mourir seul chez soi est une réalité tragique qui reflète la dureté de l’isolement social. Quand les corps ne sont pas réclamés, ils sont ensevelis au carré des indigents. De quoi amplifier l’abandon et l’indifférence qui entourent ces vies oubliées.

Le suicide chez les personnes âgées

« Vous serez bien mieux sans moi, je vais débarrasser le plancher, j’ai fait mon temps… » Autant de messages implicites auxquels il faut prêter l’oreille. Associés ou pas à d’autres signes, ils témoignent d’un mal-être si grand qu’ils peuvent annoncer en creux l’envie d’en finir.

En 2016, les décès par suicide des personnes âgées de 75 ans ou plus ont représenté 20 % de l’ensemble des décès par suicide (données Chiffres CépiDc-Inserm en 2016 et Insee). Ce qui fait de cette population la plus à risque de décès par suicide.

Le taux de mortalité par suicide augmente avec l’âge. Il est particulièrement élevé chez les hommes âgés de 75 ans ou plus. Mais quelle que soit la tranche d’âge (64-74 ans ou 75 ans ou plus) c’est principalement à leur domicile que les hommes et les femmes âgés se donnent la mort. (Source : SNDS-CépiDc-Inserm, calculs DREES)

Le plus souvent l’intentionnalité du geste suicidaire ne fait aucun doute. Le geste entraine le plus souvent le décès. « La personne âgée accomplissant un geste suicidaire est en général animée d’une détermination forte comme en témoigne les moyens fréquemment employés (précipitation d’un lieu élevé, armes à feu, pendaison) », peut-on lire dans un rapport du Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées. Ce même rapport pointe les principaux facteurs de risque :

  • la dépression (parfois associée à des conduites addictives à l’alcool ou autres psychotropes) et le désespoir ;
  • le vécu d’isolement ;
  • la mauvaise condition physique et la précarité financière ;
  • les situations de rupture (déménagement, deuil, entrée en établissement…).

Pour Petits Frères des Pauvres, qui a créé Solitud’ écoute pour les plus de 50 ans (0 800 47 47 88), la lutte contre l’isolement de nos aînés reste un rempart contre les risques de suicide.

Nos actions pour humaniser les enterrements des personnes isolées

L’association Morts Isolés de France et d’Outre-Mer (MIFOM) s’emploie à humaniser les enterrements des personnes sans famille ni proches.

Nos actions incluent :

  • l’envoi d’une plaque funéraire ;
  • l’envoi de bouquets pour fleurir les tombes des défunts et offrir ainsi un dernier hommage respectueux ;
  • la tenue d’un jardin du souvenir : nous maintenons un espace mémoriel où les noms, âges et circonstances de décès des personnes isolées sont conservés et honorés ;
  • la publication de faire-part : nous publions des avis de décès pour informer et permettre aux proches et aux membres de la communauté de rendre hommage.

« Votre soutien est essentiel pour nous permettre de perpétuer l’hommage mémoriel aux personnes âgées décédées dans la solitude. Ensemble, nous pouvons redonner de la dignité à ceux et celles qui en ont été privés. Rejoignez-nous dans cette lutte contre l’isolement et l’indifférence. »

Pascal Hersigny, président de MIFOM
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une mort isolée,
contactez-nous :
01 89 71 56 15